Trois ans après avoir été honoré du prix Nobel de littérature par l’Académie Suédoise, Albert Camus disparaît dans un accident de voiture, à Noël, avec son éditeur et ami Gallimard. Près de cinquante années plus tard, et un travail difficile de décryptage d’une écriture manuscrite pratiquement illisible, sa fille Catherine transcrit un manuscrit inachevé et inédit du grand écrivain. Un récit quasi autobiographique, Le premier homme.
Le premier homme, lettré et éduqué à l’Ecole de la République, d’une famille modeste de l’Algérie des années vingt. Le premier homme qui parle, élevé par une mère quasi sourde et analphabète et par sa grand-mère. Le premier homme dans une famille de femmes.
Dans les fratries ou dans les familles, il y a souvent un premier homme. Celui qui, riche de l’expérience des autres, de générations d’ouvriers par exemple, doté d’une sensibilité différente, saisi le monde et le regarde avec un œil quasi neuf, un regard différent, comme un premier regard, le regard de la première fois.
A travers les portraits dressés nus et sans fards de membres de sa famille, puis au-delà de sa famille, de proches, Patrick Genty nous présente son premier regard, son regard de premier homme. Et surpris du regard du photographe, les modèles lui renvoient avec inquiétude parfois ou sous la protection d’une inexpression de façade, au-delà de l’intimité, toute l’histoire, son histoire, leur histoire.
Les visages se succèdent et comme par un effet miroir, progressivement l’artiste, au travers des autres, dresse de lui-même, un autoportrait pudique. Sous chaque visage se trouve dissimulé et sensible, un trait, un reflet, une lueur, une expression qui signent la familiarité des formes et d’un passé commun. Ces échanges se produisent à notre insu, comme si l’artiste avait eu dans l’idée de jouer avec nous, de nous perdre un peu dans un labyrinthe, où raisonnent encore les rires mais aussi les peurs de l’enfance.
Quand les explorateurs, au tournant du siècle précédent, arrivèrent équipés d’appareils photographiques, dans des tribus qui n’avaient jamais croisé d’homme blanc, ils crûrent parfois qu’en captant leur image posée là devant eux sur le papier, le photographe leur volait leur âme.
Les photographies de Patrick Genty, produisent sur nous ce même effet de sidération. L’image est tellement immédiate, pas trafiquée, sans habillage qu’on pourrait croire qu’il a, au-delà de leur regard, capté jusqu’à, l’âme de ses modèles.
Emmanuel Druon.
Le 4 janvier 2008 à Tournai.