Fragments
Fragments de mémoire. La mémoire fragmentée. Constitutive de ce que nous sommes.
Fragments. La mémoire fragmentée. Celle avec laquelle nous luttons comme de beaux diables. Toute notre vie. Les mémoires effacées. Celle que nous avons effacée, croyons nous. Celle qui nous revient au détour d’une émotion, d’une conversation, et qui nous prend par surprise, sans crier gare. Celle, la mémoire, qui nous revient en boomerang et qui nous plonge dans un abime de perplexité, celle qui nous ramène à la vie après un choc.
Fragments dit Réjean quand il évoque les travaux de Saskia et ceux de Robert. « Fragments de mémoire qui s’efforcent de résister encore un peu à leur effacement par le temps. »
Premières notes.
La tension entre deux œuvres. L’espace élastique, le dialogue. Ce que nous percevons du travail de Saskia et Robert présenté ici nous fait songer aux creux pleins des silences et des souvenirs partagés qui s’installent entre deux images d’un album. C’est le mystère de la relation de l’un à l’autre.
L’autre, mon autre, toi que j’ai trouvé, sans te chercher.
Quand Saskia expose. C’est une ouverture pour accueillir l’autre. Tout est ouvert. La correspondance partagée. Viens ici mon ami. Artiste mon ami. Art mon ami. Autre mon indispensable, mon unique, mon multiple par lequel je respire, je vis. La silhouette, l’ébauche, la couleur, il suffit de quelques traits et avec la fleur, c’est toute la prairie qui surgit, celle là que j’avais en moi loin dissimulée.
et que la fleur cette silhouette gracile
La silhouette gracile, l’animal étrange, le phantasme, la représentation imaginaire
Lettre d’amour. Encore étonné, toujours surpris de l’amour qui comme le ressac vient dans un mouvement éternel et toujours différent d’une vague jamais semblable à l’autre. Et vous laisse là, plein des beautés et des possibles du monde.
Réjean nous dit : La dimension esthétique et matiériste de l’installation créée par l’imagination de Robert qui ramène à la vie des boîtes et des objets chinés. Pourquoi ceux là retiennent ils son attention, quelle part de lui se trouve ici dans ses objets ayant appartenus à d’autres que lui, ces jouets d’enfants qui deviennent symboliques tant ils sont abstraits. Vous pourrez faire le lien par le fil tendu de la couleur, le rouge par exemple ou le blanc ou la cane de l’aveugle. Quelles images l’aveugle porte-t-il en lui ? L’autre est une énigme avant tout.
Vous suivrez le fil de cette œuvre très construite que propose Robert Empain et trouverez un lien en complétant les fragments de mémoires symbolisés par les boîtes et les compositions savantes. Vous suivrez le lien et aboutirez au puits duquel remontent, magiques et légères des milliers de particules de vent.
S’il se faisait alors que le sens du sacré nous revienne en mémoire, les chants de Palestrina, ce serait sans les lourdeurs du péché, les graisses saturées de la culpabilité, ici point de cela, non. Plutôt un moment d’émerveillement. Un lieu où les tourments de l’esprit trouvent un refuge.
Le regard profond fragile sensible qui pénètre
Mais il est vain parfois de mettre en mots des émotions fugitives. Et je veux laisser au silence le droit de se faire aussi. Gracile, évanescent. Une lueur et soudain au détour d‘une pensée, plus présent. Le silence.
« Je ne peins pas les choses, je ne peins que les rapports entre les choses » nous dit Henri Matisse.
Quand nous avons proposé à Saskia Weyts d’exposer ses œuvres récentes nous avons émis le souhait qu’elle présente aussi celles d’un artiste de son choix. Tant il nous apparaît que le partage et l’échange forment et complètent l’œuvre peinte de Saskia. Elle fait le lien. Robert Empain son époux présente donc son installation face aux peintures de Saskia. Parce que Saskia, pour nous tous qui la fréquentons, fait le lien. Elle fédère naturellement, au sens propre du terme naturellement, c’est à dire qu’il est dans sa nature, comme profondément en elle, dans sa démarche de création artistique de créer du lien. Entre artistes, entre étudiants, entre travaux, entre l’exposition d’hier, celle d’aujourd’hui et celle de demain.
Saskia fait Le lien entre les fragments de mémoires qui reviennent avant que l‘image ne s’estompe tout à fait. Les portraits de Saskia sont cela : le fruit de ce travail là de la mémoire qui inexorablement estompe ou transforme le souvenir d’un visage ou d’un moment. Souvenir que l’artiste fixe sur la toile.
Faire le lien c’est aussi dans l‘esprit de la galerie. Comme l’échange.
Vous retrouverez Meggy, notre magicienne de l’exposition d’octobre dernier qui parle au poisson pour lui expliquer l’art.
Saskia porte en elle l’esprit, l’objet même de notre galerie qui est de créer du lien entre les artistes, des rencontres.
Vous verrez le chat, maître ici et qui pose sur nous et ce qui l’entoure son regard différent et doux.
Vous trouverez Raphaël l’accordéoniste qui dessine.
Saskia introduit ainsi la suite, notre prochaine exposition en avril et vous verrez Bruissements d’avril. Exposition des dessins de quatre jeunes artistes.
Comme un phasme posé sur l’onde blême. Le trait frémissant ne défini pas la forme mais délimite l’espace sans contrainte et suggère.
Alors le lien se produit. Avant nous, après nous, au passage avec nous, un parmi tant d’autres. Immémorial. Au delà de nos mémoires.
Emmanuel Druon
Mars 2009