Mesdames, messieurs, chers amis, chers artistes,
Nous sommes heureux d'accueillir à la galerie Twilight zone quatre jeunes femmes venues nous présenter leurs recherches plastiques récentes. Chacune, selon sa propre sensibilité, pose la question du corps comme lieu originaire de la sensibilité.
Angélique van Lerberghe travaille depuis plusieurs années sur le thème de la féminité et cette dernière année, elle a abordé un sujet que je pense difficile, celui de l’excision.
Je crois que malgré tout, on a du mal à s’imaginer toute la violence tant physique que psychologique que représente un tel acte de mutilation pour les jeunes femmes qui le subissent.
Ce qui m’a particulièrement marqué dans le travail d’Angélique, c’est la pudeur avec laquelle elle a su aborder ce sujet. Elle a fait le choix de ne pas venir redoubler, par des images violentes ou provocatrices, la violence infinie faite à l’encontre de ces femmes.
Ses travaux, tant par le choix des techniques que des matériaux utilisés, évoquent tour à tour la féminité (et la douceur qui lui est associée), la souffrance physique et morale ou encore, la négation même de la féminité.
« Ouvrage de dames » par exemple renvoie à la douleur, aux larmes et au sang versés par ces jeunes femmes et évoquent l’atteinte irrémédiable portée à leur intimité, à leur féminité.
A première vue, les œuvres présentées par Morgane Triffault ne sont pas sans évoquer l’univers un peu inquiétant des poupées d’Hans Belmer. Mais je ne crois pas que se situe là son propos.
Il me semble que son travail porte davantage sur une interrogation existentielle que l’on pourrait formuler ainsi : « Et si la vérité de l’existence se résumait à celle du corps? » Un corps sensible, un corps ouvert sur le monde, mais un corps dont le seul horizon serait celui que sa propre chair peut lui rendre accessible.
Les poupées de Morgane, délicatement confectionnées, s’habillent et se déshabillent sous nos yeux, se décomposent et se recomposent étrangement, comme si elles tentaient vainement de nous exposer, ou de s’exposer à elle-même, leur for intérieur.
Elles nous renvoient à une angoisse existentielle fondamentale, celle de la finitude de l’homme et nous posent sans détour la question : « Et s’il n’y avait rien d’autre sous la chair que la chair ?».
Pour désigner le travail de Flore Dumortier, j’aurais envie de parler d’une archéologie des corps. Les fragments de corps en céramique qu’elle nous présente (ici des épaules, là des pieds ou encore des bras étrangement allongés) sont comme des traces d’existences. A la manière d’un archéologue qui au travers d’un processus de moulage soigné tente de reconstituer une histoire humaine, Flore, au travers de son processus créatif, tente de redonner corps à des moments de rencontre.
En observant ces fragments de corps, je ne peux m’empêcher de les prolonger, par l’imaginaire, en des corps entiers. Mais ces corps reconstitués imaginairement gardent un caractère impalpable, insaisissable. En fait, au delà d’une évocation de la fragilité et de la vulnérabilité du corps, il me semble qu’il y a dans le travail de Flore une affirmation - qui apparaît comme en creux, comme en négatif - une affirmation de « l’être » tout simplement.
Le travail de Marine Cuvelier nous rappelle, si besoin est, que le corps et notamment le corps de l’artiste véritable, est le lieu privilégié de résonances sensibles. Ses réalisations et ses performances nous montrent à quel point l’artiste peut mettre en jeu son propre corps dans le processus créatif.
Sensible au monde, sensible aux êtres et à la musique, Marine traduit par le dessin et dans l’espace ce monde qui l’entoure et qui n’a de cesse de résonner en elle.
Comme elle nous en fait à nouveau la démonstration dessins et corps peuvent se faire pures vibrations par la fusion expressive de l’acte de dessiner et de mouvements corporels impulsés par la musique.
La confrontation à l’art nous permet d’explorer les contours de notre propre sensibilité, à la découvrir ou l’approfondir. C’est ce à quoi nous invitent les œuvres d’Angélique, Morgane, Flore et Marine.
Je vous souhaite une très bonne visite,
Réjean Dorval
Octobre 2007